[ANgola+cAMERoun+mexIQUE]
(1) Adjectif unique pouvant décrire deux positions paradoxales adoptées dans oxo : d’une part l’utilisation de titres anglo-américains dans le but de donner à l’expérience oxo une dimension internationale, d’autre part l’exclusion de ce type d’expression dans le but de résister à la culture dominante.
(2) Ensemble de signes digitaux offrant une double lecture : numérique dans un sens et littéraire dans l’autre. Les trois anamériques de neuf lettres existant dans la langue française (“bobsleigh”, “illisible” et “isoglosse”) permettent de définir de manière intrinsèque le principe anamérique [> oxo 1].
[Annexe]
Tapez 713705 sur une calculatrice et retournez-là : le mot “soleil” apparaît. Cette trouvaille amusa beaucoup de monde dans les années 70 et des artistes tels que Marcel Jacno ou plus tard BP utilisèrent le principe dans leur travail. Ce procédé n’échappa pas à l’Ouvroir de littérature potentielle qui classa le phénomène au rayon des palindromes verticaux, ces mots qui conservent leur sens même lorsqu’on leur fait subir une rotation de 180 degrés. En l’occurrence, il serait plus juste de parler ici d’anacyclique, dans la mesure où le mot obtenu par la magie du renversement est différent du chiffre qui lui sert de base, tandis qu’avec le palindrome, la double lecture, qu’elle soit horizontale (“Esope reste ici et se repose”), verticale (“nounou”) ou les deux à la fois (“SOS” ou “oxo”), permet de retrouver les mêmes mots. C’est pourquoi nous parlerons plutôt d’“anacyclique vertical alphanumérique” ou, pour simplifier, d’“anamérique”.
La double lecture verticale de l’anamérique est rendue possible grâce au dessin très particulier des signes digitaux présents sur le cadran des calculatrices électroniques à cristaux liquides. Lus à l’envers, ces chiffres permettent d’interpréter un mini-alphabet composé des lettres suivantes :
0 = O
1 = I
2 = Z
3 = E
4 = h
5 = S
6 = g
7 = L
8 = B
9 = G
A partir de là, il est relativement simple d’établir la liste de ces chiffres-mots*, que l’on estimera à environ trois cents dans la langue française (noms propres et communs), des variations pouvant intervenir selon le dictionnaire utilisé comme base de recherche.
Outre le fait qu’il détermine un vocabulaire exigu autorisant l’écriture d’une poésie un peu étrange et surréelle (comme le fit par exemple Jérôme Peignot au début des années 90), l’anamérique présente un intérêt troublant pour qui prend la peine d’en examiner attentivement la liste.
Première observation : les plus longs anamériques ne comportent jamais plus de neuf lettres. Pourquoi neuf ? Peut-être parce que c’est le dernier des chiffres, celui qui se situe à la frontière de la liste décimale, comme si cette limite devait régir avec la même rigueur mathématique les mots issus des chiffres. Quoi qu’il en soit, on compte un total de trois anamériques de neuf lettres : il s’agit des mots “bobsleigh”, “illisible” et “isoglosse”.
Ce qui permet de faire une autre observation : ces trois mots issus du hasard, qui sont donc les anamériques les plus longs, se suffisent à eux-mêmes pour définir les principales propriétés de l’anamérique.
Ainsi :
1) Bobsleigh (461375808 = BOBSLEIgh) : de l’anglais “bob”, balancer, et “sleigh”, traîneau, le bobsleigh est cet engin qui se balance de droite à gauche et de gauche à droite pour glisser à grande vitesse. L’anamérique fonctionne exactement selon ce principe : c’est en effet le balancement de la lecture (envers endroit, endroit envers) qui provoque le glissement sémantique propre à l’anamérique, lui permettant ainsi de traîner dans son sillage un double sens, celui du nombre et celui du mot.
2) Illisible (378151771 = ILLISIBLE) : les anamériques sont toujours indéchiffrables au premier abord et constituent une sorte de langage crypté qui n’est pas sans rappeler l’écriture-miroir de Léonard de Vinci ou, de manière plus proche, les messages secrets échangés par Oona Hoffnung et Nephtys Marie Allant dans Les verts champs de moutarde de l’Afghanistan de Harry Matthews. Une illisibilité temporaire pour quiconque est initié, certes, mais une illisibilité réelle pour qui ne sait pas dé-chiffrer, autrement dit abandonner l’idée de chiffre et de nombre au profit de l’idée de lettre et de mot.
3) Isoglosse (355076051 = ISOgLOSSE) : ce terme désigne une ligne séparant deux aires dialectales qui offrent pour un trait linguistique donné des formes ou des systèmes différents (prononciation, écriture, sens, etc.). Dans le cas de l’anamérique, les deux lieux sont d’une part l’aire numérique (champ des chiffres) et d’autre part l’aire alphabétique (champ des mots). Le fait de langue concerne ici la graphie des termes considérés (355076051 utilise les mêmes signes que ISOgLOSSE), la différence intervenant à trois niveaux : orientation de la lecture, prononciation et contenu sémantique.
Ainsi les trois principales caractéristiques de l’anamérique sont-elles autodéfinies. Une autarcie qui porte à s’interroger sur le sens du hasard. La présente exégèse appliquée à l’univers des chiffres et des lettres laisse entrevoir une forme d’humour où le hasard, en effet, n’est plus tout à fait innocent. Des dieux poètes et calculateurs se sont-ils amusés, il y a quelques millénaires, à jeter des ponts entre ces deux mondes radicalement opposés, celui des nombres et celui des mots ? Ont-ils, du haut de leur tour de Babel, soufflé ces mots à double sens et ourdi le principe anamérique pour qu’à la fin du xxe siècle, des écoliers plongés dans leurs Larousse et leurs Texas Instruments puissent inscrire le nombre 713705 et observer le SOLEIL en face ? Ce mystère reste et restera entier, comme tous les nombres du même nom.
Pascal Le Coq + Kitschcock
*